Représenter la révolution
l'Acte 6 par Julia Vidit,
Skolstrejk (la grève scolaire) de Guillaume Cayet, que nous jouons surtout dans les établissements scolaires, raconte l’histoire de Louise, une lycéenne qui, pour lutter contre le réchauffement climatique, décide de s’immobiliser. Elle entraine avec elle tout son lycée.
Quatrième A (lutte de classe) du même auteur, que nous jouerons en février prochain au théâtre, met en scène Emma, une collégienne. Elle raconte les trois jours qui ont poussé sa classe à monter sur le toit du collège pour porter haut et fort leurs revendications.
Ces deux pièces tentent de représenter l’engagement de la jeunesse, ses luttes et ses moyens. J’entends souvent cette remarque parfois un peu accusatrice à l’issue de Skolstrejk (la grève scolaire) : Vous incitez les jeunes à faire la révolution.
Je m’interroge alors à voix haute : Est-ce que montrer les prémices d’une révolution, c’est inciter à la faire ? Et de quelle révolution parle-t-on exactement ?
Dans ces deux spectacles : point de morts, point de casse, point de prise du pouvoir par les révolutionnaires, point de changement brusque de la structure politique ou sociale.
En ce sens, il n’y a pas de révolution, l’action se passe avant. Les personnages, affamés de justice, prennent place dans l’histoire, pensent, parlent et agissent.
Ils interrogent et discutent ouvertement l’ordre établi : c’est très réjouissant de les voir prendre part au monde. Oui, devant un tel spectacle, une spectatrice peut se dire pourquoi pas moi ? Et quel mal y aurait-il ? Devrait-on se sentir coupable de s’identifier à des personnages en lutte ?
Heureusement, le théâtre, tout comme les autres arts, cause du désordre.
S’il y a encore un petit espace où il est possible, ensemble, de révolutionner le monde sans risquer sa peau, c’est bien ici. Profitons-en ! Nous devons pouvoir projeter le désordre, et fictionner le renversement d’un monde qui ne va pas bien et nous rend malades.
Il faut rêver et répéter sa révolution, pas seulement la construire.
Dans mon idéal, chaque spectacle devrait nous « révolutionner » et faire bouger notre point de vue sensible sur le monde, sur les autres et sur nous-mêmes. Le théâtre, s’il ne prépare pas à la révolution, devrait au moins provoquer chaque soir des révolutions intimes et silencieuses !
L’acte 6 de cette troisième saison tournera autour de l’axe posé à mon arrivée : un théâtre ouvert et accessible au plus grand nombre, où vivre des expériences vivantes !
De février à juin 2024, Mathieu Touzé représente la révolte des sœurs Papin, écrite par Jean Genet dans Les Bonnes. Aurélie Namur, autrice, actrice et metteuse en scène, met en jeu la force d’une enfant face au trouble causé par la solitude dans Billy la nuit. Pauline Ringeade bouleverse nos repères sensibles pour réengager notre rapport au vivant dans Silence vacarme. Après Andromaque, joué à l’acte 3, Élodie Ségui revient mener la création partagée entre habitants et professionnels : Kintsugi Party nous mettra en ébullition et nous conviera à une fête sous l’orage ! Natacha Steck, jeune créatrice de notre région, mettra en scène la transformation d’un groupe de jeunes dans Un jour, j’irai à Tokyo avec toi ! À La Fabrique, Jean-Yves Ruf donne à entendre, dans une déflagration poétique, le J’ai saigné d’un Blaise Cendrars au cœur de la guerre de 14-18 ; Laurent Charpentier, lui, nous plonge dans la folle spirale du héros de Grand-duc, texte du jeune Alexandre Horréard qui joue à retourner notre point de vue. En mars, MICROPOLIS, temps fort dédié à l’itinérance, agitera le théâtre et ses alentours, avec des spectacles conçus pour être joués en dehors des théâtres, dans une grande proximité avec les spectateurs.
Pendant ces quelques mois d’hiver et de printemps au parfum d’instabilité, nous serons là. Au milieu de ce tumulte dans lequel nous cherchons à vivre, il est plutôt logique que les créateurs et les créatrices, chacun à sa façon, cherchent à donner à voir des révolutions et des transformations.
Réalisé en 1933, le film Zéro de conduite qui a inspiré l’auteur de Quatrième A (lutte de classe) a été interdit 33 ans, considéré alors comme un pamphlet libertaire par le ministère de l’instruction publique. Espérons que ces temps de censure soient véritablement derrière nous.
Sentons-nous libres, plus que jamais, de représenter le désordre pour construire autrement.
À très vite, dans les salles et tout autour !
Julia Vidit.