Intelligences humaines

Chers spectateurs,
Un grand merci pour votre présence fidèle cette saison. Nous sommes fiers de vous avoir offert des moments de spectacle, d’émotion et de partage.
Pour vous remercier, nous avons prévu un acte 5 surprenant et
humain. Nous avons également le plaisir d’annoncer la réouverture
de La Fabrique, lieu de spectacles en proximité et de recherches.
Malgré un climat social tendu, nous serons présents à vos côtés pour vous offrir des moments de magie et d’émotion.
Merci encore pour votre soutien et à bientôt pour de nouveaux moments artistiques.
L’équipe du théâtre.

Alors ? Rien ne vous étonne ?
Voilà ce que vous auriez pu lire si je m’en étais remise au nouveau logiciel Chat GPT pour écrire cet édito. Qu’en dire ? Pour qui écrit ce robot ? Quels algorithmes ont posé ses inventeurs pour agencer mots passe-partout et pensée froide ? Écrit en 10 secondes, l’efficacité et le rendement semblent être les seules motivations du texte proposé.
Plus inquiétant, pour parler du climat social tendu que je lui demandais de mentionner, il propose la magie et l’émotion. Il pose le Théâtre de la Manufacture comme un lieu de divertissement et de diversion. L’idéologie de cette machine est donc bien loin d’être la mienne, quand je suis pourtant sa commanditaire ! Dès lors, méfions-nous de ce nouvel outil et interrogeons les lignes que nous lisons ici et là, comme des sujets-verbes-compléments vides d’intention. L’illusion pourrait presque être parfaite !

Dans cet édito, je veux revendiquer qu’au théâtre, oui, il y a l’émotion, la magie et le partage mais aussi le droit au réel, à la réflexion, à l’engagement, à la sueur, au risque, à la peur, à l’imperfection et à l’incertitude. Je crois plus que jamais à la puissance de ce lieu de vie, parce qu’il est celui des minorités que nous formons, celui où nous pouvons dialoguer et nous rencontrer.
Nous pouvons y chercher du sens avec nos intelligences humaines pour que se déploie notre intelligence collective. Nous ne faisons pas illusion, nous nous illusionnons pour faire autrement.

Si l’ordinateur permet de créer ces indispensables documents de communication, aucune de ces machines intelligentes ne peut écrire et peindre les quelques feuillets que vous tenez entre vos mains. Aucune n’imagine l’activité foisonnante d’un théâtre au fil du temps. Dans ce papier recyclable, il y a la vie d’une équipe et des artistes associés, le dialogue fertile avec des graphistes, la proposition d’une aventure créatrice de points de vue intergénérationnels sur notre monde. Tout cela est motivé par notre désir de nous adresser à vous, humains parmi les vivants.

Pendant cet acte 5, le Théâtre de la Manufacture continue de déplacer son regard pour croiser les vôtres. Les artistes arpentent la métropole. La compagnie nancéienne Logos et l’autrice Aurianne Abécassis s’associent pour la nouvelle création Théâtre au collège !, l’aventure des Quartiers libres se poursuit en quête des travailleurs de la nuit et s’épanouit en une série de podcasts. Notre itinérance n’est pas géolocalisée, elle tente d’être là où on ne l’attend pas, de répondre aux invitations, de construire ses fidélités.

La Fabrique ouvre ses portes pour vous placer à quelques mètres des acteurs et, au chaud d’une petite communauté inédite, nous ressentirons davantage encore la force de vie que nous transmettent les joueurs. Dans cette petite salle rénovée, Geoffrey Rouge-Carrassat met en jeu l’altérité comme un besoin vital, Juliette Navis revient sur la transformation d’une femme en machine au service du show-biz, Laure Werckmann nous redit à quel point nous sommes capables d’aimer.

Dans la grande salle, Delphine Horvilleur et Johanna Nizard s’amusent de notre multiplicité identitaire, tout comme les 9 acteurs de C’est comme ça (si vous voulez) jouissent de nous perdre dans notre impossible quête de vérité. Bérangère Vantusso fait du Rhinocéros de Ionesco une menace pour nos libertés dont nous saurons nous souvenir. L’histoire des Black Panthers, comme celle de Marie Stuart, sont deux épisodes marquants qui éclairent le présent et changent notre regard sur le passé. Rébecca Chaillon partage son espace de travail, à la lisière de la performance et du théâtre, avec des professionnels en formation, avant de donner son dernier spectacle adressé aux adolescents. Plutôt vomir que faillir porte haut la lutte contre la norme du sujet-verbe-complément.

Nous cherchons à regarder en face et de mille façons ce monde en train de vivre sa sixième extinction. Et si nous apprenons à combler le manque de sens de l’écriture automatique d’une appli suspecte, nous gagnons bien plus à combler les œuvres vivantes des artistes, faites de trous à remplir avec nos imaginaires, de pointillés à relier avec nos idées.

Venez nombreux, nous faisons tout cela pour de vrai, pour chacun et chacune d’entre vous. Les expériences vivantes, aucun robot ne peut nous les faire vivre !

Bel été, bel automne 2023, bel acte 5 !

Julia Vidit